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Un point c'est (pas) tout

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Critique cinéma : Le Collier Rouge

Publié par Christelle Point sur 15 Avril 2018, 15:09pm

A l’été 1919, dans une toute petite ville de province (et il n’est pas exclu qu’il s'agisse de Nevers si j’en crois l’image furtive d’un dossier militaire), un chien aboie jour et nuit devant la prison, il attend son maître, l’unique prisonnier. Jacques Morlac doit être jugé par un juge miliaire qui vient d’arriver, pour « outrage à la Nation », un acte commis visiblement lors de la Fête Nationale qui vient d’avoir lieu. Qu’à donc fait ce soldat, pourtant décoré de la Légion d’Honneur, pour se retrouver derrière ses barreaux ? Et pourquoi s’obstine-t-il tellement dans son refus de s’excuser ?

 

Il y a dans le film de Jean Becker quelque chose qui me gêne, quelque chose qui à mes yeux ne fonctionne pas et j’ai beaucoup de mal à mettre le doigt dessus. C’est vrai, je le reconnais, je partais avec un a priori un peu négatif étant donné que les films de Jean Becker ne m’ont jamais tellement « parlé ». Son côté « France profonde » et « bon sens paysan » me gonflent, je n’ai pas honte de le dire. Pour « Le Collier Rouge » je me suis dit que ce serait peut-être différent, étant donné le contexte historique du film, il y avait matière à faire quelque chose de bien. Je dois reconnaitre que, dans sa forme, le long-métrage de Jean Becker se laisse suivre sans déplaisir, surtout qu’il a la bonne idée d’être court, et même très court au regard de la durée habituelle des films aujourd’hui. Du coup, grâce à une réalisation assez dynamique et à une narration en forme de puzzle, l’attention est maintenue sans problème. Le film est parsemée de flash-back, à des époques différentes, le récit se déroule en 1919, puis on retourne en 1914, puis en 1917, puis de nouveau en 1914, etc… C’est une narration complètement éclatée façon puzzle et qui nous permet, spectateur, de voir se dessiner au fil des indices le tableau final : Qu’à donc fait Morlac le 14 juillet et pourquoi ? La reconstitution est assez soignée, du moins dans la forme (pour le fond on y reviendra), les scènes de guerres sont filmées de façon un peu expéditives, que ce soit les tranchées en France ou en Grèce, souvent en plan serré (faute de moyen ?) mais dans l’ensemble, elles fonctionnent et montrent bien ce qu’il y a à montrer, c'est-à-dire l’horreur d’une guerre post révolution industrielle où on se bat au corps à corps, mais avec une sauvagerie décuplée par la technologie. Dans la forme, je ne trouve pas grand-chose à redire au « Collier Rouge », et je ne trouve rien à redire sur son casting non plus. François Cluzet, immense acteur, montre encore une fois à ceux qui en doutaient encore qu’il ne lui faut pas grand-chose pour composer personnage, dans toute sa complexité et dans toute sa sobriété. Il incarne un juge militaire lui aussi, d’une manière différente (et plus subtile), abîmé par le conflit. Nicolas Duvauchelle est plutôt crédible en soldat révolté et sa compagne Sophie Verbeeck ne dépareille pas, en paysanne lettrée et politisée. On appréciera le fait qu’il y ait quelques second rôles un peu effacés mais intéressants, comme celui de l’avoué un peu « concierge » qui prends un plaisir mal dissimulé à juger ses contemporains, ou Louis, l’idiot du village, inoffensif (quoique…) et parfaitement incarné par Gilles Vandeweerd. Je souligne sa performance car ce n’est jamais facile de jouer ce genre de rôle sans tomber dans la caricature ou le mauvais gout. En fait, c’est le scénario qui me laisse une impression un peu étrange, mais ce n’est pas facile d’expliquer pourquoi. En réalité, en prenant du recul, je me suis rendue compte que, tout simplement, je n’y avais pas cru, à cette histoire de soldat accusé d’outrage (l’outrage en question, on le devine d’ailleurs assez vite) dans une France de 1919 décrite bizarrement. L’immédiat après-guerre est un moment très particulier en France, d’abord c’est une classe d’âge entière qui manque à l’appel, c’est une saignée inouïe qui fait que tout le monde, absolument tout le monde, pleure un mort. Ensuite, c’est un moment de grand patriotisme teinté de pacifisme, un mélange un peu schizophrène. Sans préjuger des faits historiques décrits par le film, notamment sur le front grec qu’on connait bien mal ici, en France, on se retrouve souvent dans le film de Jean Becker devant des personnages et des situations très monolithiques. En fait, c’est comme si Becker et son scénariste Jean-Christophe Ruffin (écrivain de talent mais pas historien) avait filmé la guerre de 1914-18 et son immédiat après-guerre avec le regard d’un homme de 2018. Le scénario calque sur cet épisode historique un filtre moderne. Pour faire court, l’homme pacifiste de 2018 ne peut pas comprendre pleinement l’homme de 1914, qui part à la guerre en chantant et en voulant « trucider du boche », l’homme qui en 1917 ne se mutine pas, l’homme qui en 1919 de devient pas un pacifiste forcené. Le personnage de Morlac, sur lequel il y a beaucoup à dire, me laisse dubitative. C’est un paysan qui n’est jamais sorti de son village, qui n’a probablement aucune culture politique avant la guerre, et j’ai du mal à croire à un engagement marxiste pur et dur qu’il aurait « contracté » sur le front des Balkans. Même si je veux bien croire que les idées marxistes aient pu « infuser » dans les tranchées entre un monde ouvrier et urbain d’un côté et un monde paysan et conservateur de l’autre, même si je veux bien croire à des tentatives de fraternisations (probablement anecdotiques ) en 1917, j’ai du mal à accepter un personnage si entier et qui parle en 1919 comme s’il était un de mes contemporains. Et que dire de Valentine ? Elle est à moitié allemande et en 1914 comme en 1919, ça n’a l’air de poser de problème à personne dans le village ? Bizarre et peu crédible à mon avis. Le film veut faire la démonstration que la guerre abîme les hommes (quel scoop !) et qu’elle les rapproche dangereusement de l’animal qui sommeille en lui, et pour ce faire Jean Becker sort ses gros sabots et ne fait pas tellement dans la dentelle ni dans la nuance. Quant à la fin, bien morale, elle tend à démontrer qu’on ne fait jamais de grandes choses sans motivations profondément personnelles, une sorte d’explication psychologique qui là encore, tombe un peu à plat. Même si « Le Collier Rouge » n’est pas un mauvais film, c’est malgré tout à mes yeux un film qui rate la cible.

 

La Bande Annonce du "Collier Rouge"

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