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Un point c'est (pas) tout

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Critique cinéma : Le Procès du Siècle

Publié par Christelle Point sur 30 Avril 2017, 15:11pm

En tant qu’historienne et universitaire reconnue, Déborah Lipstadt étudie, décortique et jette une lumière crue sur le négationnisme qui infiltre le milieu universitaire. C’est à ce titre qu’elle est, à la fin des années 90, accusée de diffamation par David Irving. Irving est ouvertement négationniste et reproche à Lipstadt de dénigrer son travail (oui, carrément…). Et comme il porte plainte en Angleterre, la charge de la preuve est du côté de Lipstatd et non du côté d’Irving. La voilà donc sommée de prouver la véracité de l’Holocauste devant un juge, faute de quoi il sera admis que, dans le monde universitaire, toutes les opinions se valent, mêmes les plus insupportables.

 

Au-delà d’un titre français presque grotesque (« Le procès du siècle », on dirait une mauvaise manchette de tabloïd !), le film de Mike Jackson semble au départ un film dangereusement casse-gueule. Les films sur la Shoah sont assez nombreux, souvent pertinents et souvent fait avec un tact et une retenue qui doit être soulignée. Il n’empêche que faire aujourd’hui un film sur le négationnisme est une entreprise périlleuse. Parce que, au bout du compte, il s’agit avec cette question de dénouer (ou plutôt de tenter de dénouer) le nœud gordien qui lie trois notions ô combien explosives par les temps qui courent, surtout quand elles se percutent : l’Histoire, la Morale et la Politique. Le premier challenge de Mike Jackson était donc de proposer un film sobre et digne dans sa forme : pas de scènes racoleuses, pas de suspens malvenu, pas de rebondissement théâtraux malsains, bref, d’éviter toutes ces choses qui pullulent dans le cinéma d’aujourd’hui. Pari réussi en partie, en partie seulement car il y a malgré tout quelques concessions cinématographiques, le suspens de la fin n’est pas très pertinent puisque, même sans connaitre le vrai procès (oui, je ne l’ai pas dit mais c’est une histoire vraie, d’un vrai négationniste qui a osé attaquer une vraie universitaire qui osait « dénigrer » son travail), on sait bien aujourd’hui que le négationnisme est toujours bonni de la vie universitaire. Du coup, pourquoi proposer un faux petit suspens à ce propos, avec musique et dramaturgie autour ? Quelques scènes un peu caricaturales peuvent faire sourire : le long regard appuyé à la statue de la justice, le gentil papa Irving avec son adorable fillette blonde et sa nounou noire. Mais on peut passer outre ces quelques petits défauts pour insister plutôt sur les presque 10 minutes filmées à Auschwitz, au début du film, sans musique (ou très peu), sans effet de mise en scène (ou très peu), avec le recul qu’il faut. Tourner à Auschwitz-Birkenau est, j’imagine, un cauchemar absolu de réalisateur tant cet endroit est lourd, chargé d’émotion, de chagrin et de douleur. Ma foi, Mike Jackson ne s’en tire pas trop mal. Tourné à la fois dans le vrai camp et à la fois dans une reconstitution (parce qu’on ne peut évidemment pas amener des comédiens et toute une équipe autour comme si de rien n’était sur le toit d’une chambre à gaz), ces scènes sont d’une force écrasante à l’écran. Rachel Weisz est très convaincante dans le rôle d’une cette universitaire piégée, parfois emportée par ses propres émotions et confrontée à un homme qui ne recule devant rien, ni aucune bassesse, ni aucune tribune pour affirmer ses idées ignobles. C’est surtout de lui et de son interprète que je voudrais parler : Timothy Spall incarne un homme détestable et il le fait avec une telle conviction que cela fait froid dans le dos. Au premier abord, on le trouve caricatural : en plus d’être négationniste, il est odieux, vulgaire, menteur, manipulateur, ouvertement raciste, il profère des horreurs sans jamais sourcilier dés qu’il a un micro devant la bouche, dans la surenchère permanente, il semble n’avoir absolument aucune limite. On se dit que le scénario a forcé le trait tellement fort que cela va tourner au grotesque. Et puis on réfléchit deux secondes, on réfléchit à tel ou tel homme politique moderne, tel ou tel éditorialiste, tel ou tel chroniqueur médiatique et on revient sur cette première impression. Oui, il y a des gens comme ça, aussi détestables que ça, aussi outranciers que ça, aussi dangereux que ça, ils existent et le Irving de Timothy Spall ne sonne pas si faux qu’on a pu le croire dans un premier temps. Le scénario du « procès du siècle » a une certaine finesse et un vrai intérêt pour l’historienne qui sommeille en moi car il va plus loin que la simple question de l’Holocauste et de l’existence ou non d’un plan savamment orchestré, méticuleux et « industriel » de l’extermination de masse d’un peuple tout entier. Cette question là est heureusement réglée pour tout historien digne de ce nom depuis longtemps. Mais le film pose des questions très difficiles, comme celle de savoir si la vérité historique doit être établie par tribunal, comme celle de savoir si au nom de la recherche scientifique, on peut tout étudier, tout envisager, tout remettre en cause. Ces questions dépassent bien sur la personne d’Irving et de son affrontement avec Lipstadt, et le film n’y répond pas : et comment le pourrait-il ? Le scénario regarde pile à l’endroit où se nouent trois notions très fortes : l’Histoire comme matière scientifique, la Politique qui se sert d’elle en la déformant comme il l’entend, et la Morale qui vient compliquer le tableau. L’Histoire est-elle comme ces cartes postales qui changent selon qu’on les bouge vers la droite ou vers la gauche ? Et les deux images se valent-t-elles ? C’est une question fondamentale et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, douloureusement moderne. La tentation de Déborah Lipstadt, dans le film, d’inclure de l’émotion, de la Morale et de faire témoigner des rescapés de la Shoah est systématiquement contrée par ses avocats et au début, on a bien du mal à comprendre pourquoi. Mais au final, devant un homme comme Irving cela n’aurait réussi qu’à le servir et à servir son propos, cela aurait conforté sa théorie du « grand complot mondial ». Ce n’était pas évident pour le film de faire comprendre cela, j’ai moi-même mis un certain temps à saisir cet aspect du film, ce n’était pas évident mais c’était courageux. Du coup, en dépit de quelques petites scories, quelques petites scènes un peu formatées, certains dialogues un peu convenus (comme le petit ami qui en a « marre de ces histoires du passé ») et quelques personnages peut-être un tout petit peu caricaturaux, « Le procès du siècle » est un film assez pertinent et qui mérite d’être vu, ne serait-ce que pour les bonnes questions qu’il pose.

 

La bande annonce de "Le Procès du Siècle"

 

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L
Excellent film dans le contexte de son époque. Sa tendance à placer dans le même panier de crabes politiciens et truands est remarquablement ironique. La distribution trois étoiles et la mise en scène demeurent un exemple cinématographique des années 70, assaisonné à point avec les baffes "Venturiennes" et les répliques succulentes. A voir et à revoir en évitant d'oublier qu'il est le reflet d'un contexte et d'une époque, et que, s'il était tourné de nos jours tout en le gardant dans son environnement, Rouen en 1975, changer sa structure le rendrait irréaliste.
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