Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un point c'est (pas) tout

Un point c'est (pas) tout

Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Critique cinéma : La loi du marché

Publié par Christelle Point sur 24 Mai 2015, 15:20pm

Critique cinéma : La loi du marché

Le film de Stéphane Brizé est présenté cette année à Cannes en compétition, dans quelques heures peut-être, il recevra un prix, ou pas… Mais quoi qu’il en soit, ce film plus proche du documentaire que de la fiction (qui dans sa forme fait beaucoup penser à « Entre les murs ») laissera ceux qui l’ont vu un peu groggy, comme assommés par une réalité dure comme du béton armé.

Thierry, la cinquantaine, ancien ouvrier, est au chômage depuis longtemps. Père d’un adolescent handicapé, il enchaine les stages, les rendez-vous et les ateliers de Pole Emploi, avec une conviction qui s’effrite de jours en jours et sans résultats. Financièrement les temps sont durs, il faut vendre des choses auxquelles on tient, il faut négocier avec sa banquière. Il parvient malgré tout à trouver un poste de vigile de supermarché, un travail de flicage qu’il déteste et qui l’installe dans une souffrance psychologique de plus en plus douloureuse.

Voilà un film qui laisse une trace durable dans l’esprit du spectateur, et ce bien longtemps après avoir quitté la salle. Je ne sais pas si c’est la marque des grands films, mais ce dont je suis sure c’est que les mauvais, eux, s’oublient fort vite ! Stéphane Brizé a choisit pour filmer le parcours de Thierry, son personnage central, une forme particulière : le docu-fiction. En choisissant de faire tourner autour de Vincent Lindon des comédiens amateurs (tous excellents), en prenant le parti d’une photographie et d’un montage plus proche du documentaire TV que du film de cinéma, en refusant quasiment de scénariser son propos, il livre une fiction qui sonne comme un documentaire, pour toucher au cœur de la réalité sociale de ce qu’il filme. C’est une forme qui ne plaira peut-être pas à tout le monde : les scènes s’enchainent, assez courtes, montées de manière assez sèches et sans transitions, on suit Thierry d’abord dans sa vie de chômeur (Pôle Emploi, entretien d’embauche sur Skype, Banque, vie quotidienne, loisirs, ennui…) puis dans sa vie de vigile. Il n’y a pas réellement de scénario dans le sens où aucune histoire n’est réellement racontée, avec un début, des péripéties, un final. Non, on est dans la tranche de vie d’un homme ordinaire qui galère, qui essaie de garder ses principe et son honneur dans un monde qui s’évertue à les lui faire perdre. Vincent Lindon est de toutes les scènes, plus encore, il est toujours filmé, même quand l’action se déroule ailleurs. Il incarne cet homme avec le talent et l’humilité qu’on lui connait. Capable de rendre compte de la souffrance psychologique sans dire un mot, juste avec des attitudes et un regard, c’est terriblement difficile, et c’est admirablement rendu. Au générique, on s’aperçoit qu’il a co-produit « La loi du marché » avec Stéphane Brizé, c'est-à-dire qu’il l’a co-financé. Quand on choisit de mettre de l’argent dans un film comme celui-là et qu’on choisit un rôle comme celui-là, d’une certaine manière, on fait un acte militant. Je ne vais pas redire tout le bien que je pense de Vincent Lindon, un des acteurs les plus constants et intelligents du cinéma français. Quand on regardera toute sa carrière, à postériori, on n’y verra que des bons rôles dans des bons films, et pas grand monde dans le cinéma français ne pourra en dire autant. Avec ce film-là, il livre une prestation d’une force indéniable, sans en faire trop, sans esbroufe, avec un naturel qui fait que très vite, on oublie Vincent Lindon pour ne voir à l’écran que Thierry. Pas de musique, une photographie très sèche, une réalisation qui privilégie souvent le hors champs (on reste sur le visage de Thierry alors qu’on ne filme pas celui qui lui parle), « La loi du marché » est un film austère mais pas du tout ennuyeux. Les scènes se succèdent, certaines sont anecdotiques, elles permettent une respiration avec les autres scènes, celles qui laisseront une impression forte sur le spectateur. Certaines mettent volontairement mal à l’aise, et plus particulièrement les scènes d’humiliations. Il s’agit de petites humiliations quotidiennes que Thierry subit (l’entretien d’embauche sur Skype ou l’atelier Pôle Emploi qui se transforme en séance d’humiliation collective, ou le marchandage autour de la vente du mobil-home) ou des humiliations plus graves auxquelles il assiste et pour son malheur, auxquelles il participe en tant que vigile. Toute cette dernière partie, dans le Supermarché, est encore plus pertinente et réussie que la première, parce qu’elle met en scène de manière encore plus crue ce que la première partie n’a fait que suggérer : la violence sociale. On sait ce qui se passe dans les coulisses de la Grande Distribution, on sait ce qu’est la souffrance au travail dans des groupes comme Renault ou Orange, tout cela est connu et a fait l’objet de reportages et d’enquêtes. C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de le voir en situation, même sous forme d’une fiction. A côté du personnage de Thierry, les autres collègues du supermarché on l’air d’être froids et de jouer le jeu sans scrupule, mais c’est parce qu’on est dans la peau de Thierry, parce qu’on voit les choses à travers lui. En réalité, c’est le système qui est en cause, pas les individus. La scène de la réunion avec le responsable RH du groupe est emblématique de çà, personne n’est dupe, pas même celui qui prononce le discours formaté, mais tout le monde fait « comme si », tout le monde fait « avec ». Jusqu’au moment où ce n’est plus possible, et c’est la scène finale de la « Loi du marché », une scène finale aussi dure et sèche que le film tout entier, une scène que malgré tout je serais tentée de trouver optimiste, d’une certaine manière. Difficile de trouver des défauts au film de Stéphane Brizé, on peut éventuellement estimer que donner au personnage un fils très handicapé en rajoutait beaucoup là où ce n’était peut-être pas nécessaire. On peut peut-être penser que certaines scènes sonnent un peu incongrues (le cours de danse par exemple), on peut être frustré devant la brièveté de certaines scènes, ou au contraire la longueur de quelques autres ou encore par la brutalité de sa fin. Mais ces petits défaut n’enlèvent pas grand-chose à la puissance de son film, tant sur le fond que par le choix de sa forme un peu iconoclaste.

Je ne sais plus qui de Stéphane Brizé ou de Vincent Lindon disait à propos de ce film : « Avant il y avait la lutte des classes, les riches contre les pauvres. Aujourd’hui, c’est la lutte de chacun contre chacun ». A cela, personnellement, je rajouterais qu’aujourd’hui, c’est la lutte de chacun contre chacun et aussi contre soi-même.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19552993&cfilm=233913.html

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents